Confession

*Une confession encore inachevée, d'une écriture hachée, dissimulée dans les affaires d'Allegra, et adressée au temple de Lathandre*

Bénissez-moi, Mon Père, parce que j'ai fauté.
Pardonnez-moi, Ma Mère, parce que j'ai douté.
Je suis Allegra Magdalena di Manzini.
Je suis faible.
Je suis folle.
J'ai eu peur, et j'ai écouté ma peur, les dieux aient pitié de mon âme.

Vous savez comment ça a commencé, le cadavre de cette malheureuse au cimetière, la gorge et le petit doigt tranchés net. Adultère... Luxure... Je me suis détournée alors, voyant ces sombres brutes penchées sur le cadavre, lui manquant de respect ainsi qu'aux lieux sacrés.
Puis il y a eu ce voleur, rattrapé et abattu dans une ruelle alors que nous le pourchassions nous-même... Il nous a laissés le voir alors, il a prononcé mon prénom, comme si nous nous connaissions. Par quel prodige ? Puis les ténèbres se sont abattues sur nous, et quand la lumière est revenue, il était parti et l'homme était mort.
Il faut que je m'en souvienne. Il les a laissés là, morts. Monseigneur, si vous lisez ces lignes un jour, vous savez pourquoi.

Mais il a épargné Harator Darinson, l'Orgueil, et son frère. Ils continuent d'exister, je ne sais si c'est un bien ou un mal. Sangue maledetto.

Virago et les elfes l'ont surpris un jour, là-bas, là où IL se manifeste. Ils ont appris bien des choses. Que l'homme qui signe ses méfaits d'un Z avait fait un pacte avec ce démon, Zargator. Que les phalanges de pécheurs qu'il récolte doivent servir à libérer Zargator, ici, à Port Embria. Qu'il communiquait avec lui, d'abord en forêt, là où les colonnes de lumière s'élevaient dans la nuit, puis au fond de ces grottes, à l'abri des regards, ou presque.
Il leur a tendu un piège, il a joué avec eux, mais ne les a pas tués. Pourquoi ? Je ne comprends toujours pas. Orgueil ? Ou... autre chose ? Je suis folle.

Puis il y a eu le bal. Alek Darinson a fait une remarque, je m'en souviens bien... "Totor galant, premier signe des cavaliers des neuf enfers sur cette terre"... Pas le premier, mais un signe assurément. Cela s'est terminé en massacre. Les gardes, Gourmandise... Le Baron, seconde Luxure, a survécu. Et deux qui font cinq.
Il a failli tuer Bartolomeo. Tout ce sang... Ho, cousin... tu ne m'avais jamais fait si peur.
Un massacre. Il faut que je m'en souvienne.
Un nom, aussi, qui émergeait... un visage, de longs cheveux noirs... Rolo le voyageur. Toujours là... même ce soir-là, coïncidence ? N'est-ce pas parce qu'il a prononcé ce nom que Bartolomeo a failli mourir ?


Pourtant....
Je m'exerçais. Seule, Bartolomeo était encore trop faible, incapable de parler. Je me suis perdue dans ce dédale de galeries gobelines, et d'un coup, il était là, entre moi et la sortie. Un homme en noir, deux épées courtes, si rougeoyantes... Tous ces gobelins... Il les a tués, avec quelle facilité pour quelqu'un qui avait subi de si terribles blessures le soir du bal. Indemne, et terrifiant. Le sol a tremblé, ses lames... Il Diavolo !
Il s'est approché. Sa lame a écarté ma rapière, si facilement.
Les dieux me pardonnent, j'ai eu peur. Je ne suis pas une mécréante pourtant, j'ai toujours écouté les prêches, toujours. Je sais qu'il ne faut pas parler aux démons. Mais j'avais peur. Il a parlé. Je l'ai écouté. Je ne voulais pas mourir.

Il s'est contenté de parler... courtoisement... Il s'est découvert... O dèi... Ca n'était pas le visage auquel je m'attendais. Comment ?
Il diavolo. Je le sais, j'ai écouté les prêches. Le démon se cache sous le sourire d'un ange. Toujours. Mais j'ai écouté son histoire. Leur histoire, à lui, et à Elle. Un... paladin de Tyr ? Déchu par amour ? Tué par le culte du Juste pour cette faute, et rappelé par le "Maître" ? Où donc se terrait mon esprit terrifié à ce moment ? Diavolo. Les yeux d'un homme, le sourire d'un ange. Et les paroles enrobées de miel, pour perdre ceux qui les écoutent. Vérité, mensonge ? Quelle importance ?
J'aurais dû frapper. Essayer, du moins. J'étais paralysée. Je l'écoutais. Je suis folle. J'ai eu pitié. Qu'il mente ou pas, après tout... ce n'est qu'un homme perdu dont l'âme pourrira aux abysses. Convaincu que le démon tiendrait sa parole. Aucune de mes paroles n'a su lui faire changer d'avis.
Il voulait me montrer le Maître pour me convaincre.

Toujours personne. Seule. Avec il diavolo et son air tourmenté. Seule Tymora pouvait m'aider, Dame fortune sourit aux audacieux. Je suis une Manzini. J'ai osé. Mais le rire était au-dessus de mes forces.
Un marché. Voir ce maître (avais-je le choix ? bien sûr, on a toujours le choix, c'est le courage qui manque, toujours), et si je n'étais pas convaincue, l'emmener à mon tour voir quelqu'un, pour le convaincre, lui. Qui ? Le Haut Prêtre du temple du Seigneur de l'Aube. Si quelqu'un pouvait sauver une âme déchue, savoir comment empêcher ce pacte d'arriver à terme, n'était-ce pas Monseigneur ? Il a accepté, et m'a entraînée par la main, sans que nous ne croisions un seul gobelin sur la route.

Et je j'ai vu. Sombre. Immense. Rouge, si rouge, comme les flammes des abysses et le sang.
Zargator.

Il a été irrité de ma présence, "sa trahison", comme il disait. Il m'a appelée.... Elle. Puis il a levé sa lame vers moi, rassemblant ses énergies méphistiques. O Dèi... j'étais perdue.

*une tâche d'encre là où la plume s'est échappée des doigts d'Allegra, tombée endormie d'épuisement sur son manuscrit*

[A suivre]

*La lettre reprend un peu en dessous de la tache, l'écriture est toujours aussi chaotique, et le style a tendance à dévier largement par rapport au premier passage, surtout en retraçant certains moments stressants. Quelques ratures. L'auteur est vraisemblablement dans tous ses états.*

Perdue. Il allait m'arracher ma vie, mon âme, peut-être même pire, me les laisser, après y avoir apposé sa marque immonde... Coglione de Zed ! "Il ne te fera pas de mal, tu sais. Il est prisonnier. Il aura du mal à bouger. Je suis là.", gnagnagni, gnagnagna, je t'en ficherai, abruti de paladin au crâne de roc comme tous tes semblables déchus ou non ! *le passage précédent est soigneusement rayé* Je m'emporte Monseigneur, ma plume a passé ma pensée, puissiez-vous accepter de m'absoudre de cette faute également.
Je me redressais pour mourir en di Manzini, la tête haute, implorant Dame Fortune de ne pas le laisser prendre mon âme avec ma vie, lorsqu'Elle m'a Souri.

Zed s'est avancé, interposant ses lames entre le démon et moi, disant que ça ne faisait pas partie du pacte... et, miracle, le démon s'est figé. A nouveau incapable d'agir, il est parti. Parti, et j'étais saine et sauve.

Zed s'est excusé, l'air... désolé, disant que... Zargator avait sans doute.... peur ? De quoi ? De MOI ? Coglione !

Ce que moi je ne comprenais pas, c'est cette histoire d'Elle. Une Elle, il y en avait déjà une dans l'histoire, et ça n'était pas moi, que je sache. Un moment, j'ai eu peur de comprendre. Je n'aurais pas dû demander. J'entends encore ses paroles, et, la preuve que je suis folle, je sens le feu me monter au joues, encore.
"Elle ne reviendra pas, je l'ai déjà retrouvée. Vous avez son esprit. Vous vous ressemblez. Elle, c'est celle que j'ai choisie, vous, Allegra. Elle n'est plus. Vous êtes là." Cazzo !
Et mon avis là-dedans ? Et si je n'étais pas d'accord ? "J'attendrai que vous le soyez. Le temps n'a pas d'importance. Le temps n'aurait pas d'importance pour nous deux." Cazzo.....

Et les autres ? Je déviai le sujet, et nous avons repris notre débat sur le marché de dupe qu'était ce pacte... Cog... *s'étant retenue de justesse cette fois* Il ajouta même une chose...
"Je ne suis pas un meurtrier. Je ne suis pas idiot *une petite tache d'encre, la plume ayant hésité, un commentaire ravalé ?*, un paladin ne passe pas un pacte avec un démon sans réfléchir aux conséquences. Ils vivront. Mes lames peuvent prendre la vie, mais la rendre aussi, tant que ce sont elles qui ont fait les dégâts."
Dèi, si il a dit vrai, alors mon coup d'audace folle n'aura pas été en vain. Vous avez entendu vous aussi, Monseigneur. Pourquoi il est important de se souvenir de chaque vicime. Pour s'en assurer, s'il le fait.
Il fallait que cela soit, il me fallait l'avis éclairé d'une personne plus expérimentée et sage que moi, qui saurait quoi dire, quoi faire pour le convaincre d'abandonner Zargator au fond de son trou, de sauver tous ces malheureux, et sa pauvre âme en plus.

Et il ne fallait pas que je reste plus longtemps seule avec lui. De petits gestes... gentils, affectueux même ? Sa main frôlant ma joue, arrangeant mes cheveux... Diavolo... Mensonge... Duperie... Je lui rappelai notre marché, insistai pour qu'il soit tenu immédiatement. Qu'il vienne à vous, Monseigneur. Sans masque, tel qu'il était à ce moment là, comme un homme, la tête droite, en signe de bonne volonté.

Nous sommes sortis, O délice de sentir la bise glacée sur mon visage après ce trou abyssal ! Il s'était habillé comme un simple voyageur, et je l'ai guidé vers le temple en priant que nul ne se doute et ne sorte les armes, cela se serait encore fini en massacre.
Mais nous avons croisé Bartolomeo, mal remis... Zed m'avait affirmé n'avoir pas voulu le blesser, mais cela m'aurait presque ramenée à la raison, si je n'avais pas vu de mes yeux les blessures qui lui restaient disparaître totalement, comme si il n'avait jamais été frappé. Guérir, il pouvait guérir les blessures qu'il infligeait !

Vous connaissez la suite Monseigneur. Zed, tremblant face à vous et au possible courroux du Seigneur de l'Aube, l'air si vulnérable... La mort n'a pas besoin d'aide, oui, mais la mort ne peut cesser d'être la mort. Une âme perdue, elle, peut toujours essayer de mériter une aube nouvelle. J'ai réussi à vous convaincre de ne pas appeler la garde, de chercher une autre solution, sans plus de morts à déplorer. Vous avez demandé deux jours pour chercher un moyen de rompre ce pacte maudit, Zed devant prouver sa bonne volonté en n'attaquant personne pendant ce laps de temps. Grazzie mille, Monseigneur.

Nous sommes ressortis, je l'escortai encore, pour être sûre. Et bien sûr, Tymora m'avait trop souri ce jour-là, il fallait bien qu'Elle se montre équitable et aille voir ailleurs... Alek Darinson et ses blagues de mauvais goût. Moitié drôle et moitié insupportable, il était tout entier le second ce jour-là. Un rival, non mais vraiment.... Et l'autre.... qui se présente... Je me fais parfois l'impression d'être la seule à avoir pour deux sous de jugeote dans cette région, et, comme je me connais bien, cette idée me terrifie.
Sortir de la ville, trop tard, attroupement... Pardonnez-moi mon père, j'ai continué à mentir, jusqu'à ce qu'ils s'en aillent tous. Il vaut mieux cette petit offrande au Soleil Noir qu'une plus grande, faite de sang. Mais pourquoi diable Alek s'est-il lui aussi prêté au jeu ? Cet homme est dérangé.


Bénissez-moi, mon Père, c'est à partir de ce moment-là que j'ai le plus fauté. Auparavant je pouvais prétendre avoir voulu servir une noble cause... mais la suite montre bien à quel point c'est en fait ma raison qui a flanché.
Comment expliquer autrement que je n'aie rien fait lorsqu'il s'est penché sur moi au lieu de s'en aller ? Ses lèvres sur les miennes, et sa main sur ma joue, froides mais douces... aucun homme n'avait jamais osé, Père et sa réputation y veillaient. Pardonnez-moi mon trouble, mon Père. Je suis folle. J'ai accepté son amulette lorsqu'il me l'a tendue, un symbole de Tyr barré d'une balafre écarlate, marquée, comme lui...

Et je l'ai acceptée. Pardon.

[A suivre]

*Quelques nuances dans la teinte de l'encre indiquent que quelques jours ont passé depuis le passage précédent*

Deux jours plus tard, rien de fâcheux ne s'était produit. Mis à part mon incapacité à m'endormir sereinement... Pourrai-je dormir à nouveau un jour ? Deux nuits passées en prières, à essayer de comprendre quel était ce trouble qui n'était pas l'anxiété de sauver une âme, ni la peur de quelque piège pervers orchestré par le démon pour nous duper. Quelques rares heures d'un mauvais sommeil lorsque l'épuisement me submergeait. Et dans mes rêves, je voyais les yeux d'un homme qui me regardaient sans méchanceté, là où auraient dû se trouver les sombres puits ouvrant sur les restes d'une âme déchue et pervertie. Le jour, des prières, également.
Je me souviens de la gentillesse de cette prêtresse de la Grande Mère, toute de générosité simple et désintéressée. Lui faire examiner Bartolomeo, et si cette guérison cachait quelque chose ? Tant de doute, trop de doute ! Et si j'étais en train de tous les mener dans un piège ?


Il m'a contactée *ici, un passage effacé, soigneusement gratté et recouvert par la suite du texte* une fois les deux jours révolus. Je suis allée le trouver, facilement, les gobelins restant passifs sur mon passage.
Il m'a marquée comme son Elue. Celle qui devrait continuer sa tâche s'il venait à mourir avant la destruction de Zargator.

Puis nous sommes allés au temple. Quelle angoisse lorsque vous m'avez annoncé, mon Père, que les seuls moyens de le libérer étaient, ou la mort (comprenez-vous mon angoisse à présent ? Et si j'avais été obligée de le remplacer dans le Pacte également ? Et puis... la mort, sans s'être racheté, non, hors de question !), ou l'acomplissement du Pacte, suivi immédiatement de la destruction de Zargator.
Vous nous avez promis l'aide du temple pour abattre le démon. Abattre un démon, Grand Dieux ! Comment est-ce qu'on abat un démon ?
C'est devant vous qu'il a guéri tous les blessés, les morts devant encore attendre. Vous lui avez accordé votre confiance, alors. Moi, la peur me tenaillait toujours, qu'avais-je accepté ?

Nous sommes ressortis, sans incident cette fois-là, apparemment une attaque de bêtes en forêt avait détourné l'attention.
Avant de partir, il m'a fait un nouveau présent. Son nom, le vrai. Le nom d'un homme, pas d'un instrument du démon. Nathan.
Que j'aimerais pouvoir me laisser aller à le croire sans réserve, comprendre quel est ce trouble qui me coupe les jambes quand il s'approche, ainsi que *ligne interrompue brutalement*

Je suis folle. Je *nouvelle interruption*

Comment a t'il osé ? Pourquoi est-ce qu'il a fait ça ? Ma pauvre tête... Je suis folle. Perdue. Je l'ai laissé faire lui aussi. C'est un péché. Sangue maledetto !

*une tache d'encre, le texte décousu restant inachevé*

*page suivante, une écriture posée, élégante, sereine*

Je relis cette confession désespérée, et je souris.
Que de frayeurs et de doutes inutiles.

A présent, je sais, je suis sûre. J'ai accepté une chose terrible pour savoir. Enfin, terrible, lorsqu'on ne sait pas.
Lorsqu'on le vit, c'est à la fois merveilleux et déroutant. Est-ce donc cela, la confiance absolue ? L'Amour ?

La Prophétie l'exigeait, mais même sans cela, j'aurais accepté. L'effet de la lame que je tenais en main ? Oui ? Non ? Elle me rend si forte, si sûre de moi. Je voulais savoir, surtout. Etre sûre de lui, moi qui n'étais pas sûre de moi-même. La curiosité a tué le petit chat, moi, elle m'a donné les certitudes qu'il me fallait. J'ai fait le bon choix, et je comprends mieux mon trouble en sa présence, maintenant.
Tout semble toujours si simple quand il est là, qu'il explique et guide... Et à présent, il est toujours là. Avec moi, toujours.

Le Lien. L'harmonie complète. Comment une chose si magnifique peut-elle venir de ces lames maudites ?
Bien sûr, il y a un Prix. S'il meurt, je devrai prendre sa place... mais il ne mourra pas, n'est-ce pas pour cela que je lutte depuis que je l'ai mené au temple du Seigneur de l'Aube ? Il ne peut mourir avant de s'être racheté, je ne le permettrai pas. Je pourrais supporter de le voir mort....reposant en paix.... je crois, mais damné, non.

Cette prophétie... Il ne veut pas me donner les détails, c'est évident, mais je n'ose aller contre son choix en cherchant. Je lui fais confiance. Il sait quoi faire.
Il m'a donné une de ses lames, cachée à mon côté, comme le médaillon à mon cou, invisibles aux yeux de tous. Quelle puissance ! Comment fait-il donc pour ne pas perdre la tête ? En la touchant, je me sens si puissante et assurée. Il m'a appris à l'utiliser, au cas où il ne pourrait pas lui-même, le jour venu. Je ne veux pas penser à cette possibilité. Toucher la lame m'y aide. Quelle merveille... maudite.... je ne dois pas l'oublier, cette chose est maléfique, elle vient de Zargator. La cacher, ne pas l'utiliser, ne pas la montrer.



Prévenir le plus de monde possible, rassembler une armée pour abattre la bête, lorsque les lames de la Prophétie feront tomber ses défenses physiques. Ne plus abuser du pouvoir de la lame... J'aurais pu tuer Alek !

Et y renoncer le moment venu.

Y renoncer ! Est-ce que j'y arriverai ?

Il le faut. Il le fera bien, lui. Pour moi. Tout ce pouvoir, abandonné sans un regret. J'avais raison. J'ai fait le bon choix.
Merci à toi, O Tymora.

C'est fini.

Nous avons trouvé le bon chemin pour la bonne prophétie. Le caillou, comme il dit. Le caillou sur le chemin, qui fait trébucher le voyageur qui ne s'y attendait pas, le regard rivé à un horizon illusoire, et lui fait stopper sa route, étonné. Le caillou, qui heurte et dévie le projectile qu'une main maléfique lançait vers le monde, comme contre une vitre fragile. Le caillou dans la botte du mauvais destin...
Je suis un caillou, donc.
...
Soit, c'est peut-être pour ça que j'ai la tête plus dure que celle d'un ex-paladin et d'un Darinson réunis.


"Et l'Elue retourna le serviteur contre son Maitre. Se liant à elle, il partagea le pouvoir qu'il détenait. Le démon, résigné, trompé, fut abattu, le serviteur se sacrifiant pour sauver les êtres qu'il avait auparavant attaqués."

Il a placé le dernier crime. Le Meurtre. Son propre doigt.
Nous attendions dehors, Alek près de moi, les autres prêts à tout, serrant leurs armes de plus en plus fort à mesure que le bruit terrible de ses pas approchait. Une nuée de gobelins lui ouvrait la marche, que la milice a réussi à détourner pour nous laisser la place face à la Bête.

Zargator. Immense, terrifiant. Sa seule apparition nous tétanisa tous de terreur.

Je portais l'armure offerte par Nathan, et je tenais l'Epée de la Prophétie jumelle de la sienne dans ma main, mais je tremblai de peur. Nathan, lui, n'était nulle part en vue. Je sais à présent qu'il s'était rendu au temple de Kelemvor, tenir sa promesse de rendre la vie à ses victimes. Racheter son âme par ce geste, et par son sacrifice.



Car, lorsque Zargator pointa à nouveau sa lame vers Alek et moi pour nous réduire en cendres, il s'est interposé, encore... Je n'ai qu'à fermer les yeux pour le revoir tomber comme un pantin disloqué dont on aurait coupé les fils.

La Colère est un péché. D'accord. Hé bien, il faudra bien m'absoudre de celui-là, parce qu'il nous a peut-être sauvés. A moins que ce ne soit la... la mort de Nathan qui ait fait de moi la Propriétaire à part entière, disposant de toute la puissance de l'Epée. Qu'importe ? J'ai trouvé le courage de me jeter sur lui avant même que Nathan ne heurte le sol, mais je le manquai. Trop fort et rapide...
Mais Nathan l'avait prévu, et avait préparé Alek. L'Elue et l'Ombre. Il m'a prise par la taille, tout est devenu noir, et lorsqu'il m'a déposée, j'étais derrière le démon, qui regardait en riant les mortels qui le frappaient en vain, détournant son attention, Alek déjà de retour en première ligne.
J'ai levé la lame, je l'ai frappé. Elle est entrée comme dans du beurre, et son aura s'est éteinte. Il a eu mal. J'espère qu'il a eu très mal.
La suite est floue, mes yeux étaient pleins de larmes qui n'étaient pas que de rage, j'entendais des cris, le bruit de corps qui tombent. Je frappai, encore et encore, restant dans son dos, maintenant ses défenses abaissées, comme Nathan m'avait appris. Les autres le frappaient aussi, sans quoi il se serait retourné contre moi sans doute, mais ils étaient de moins en moins nombreux à frapper.

Et enfin, il s'est effondré. Vaincu. Mort. Détruit à jamais, car il s'était coupé des abysses pour venir ici, totalement.
En regardant autour, j'ai été épouvantée, tant de corps à terre ! Mais tous ceux qui tenaient encore debout ramassaient leurs camarades tombés et se hâtaient vers la ville et ses temples.
Moi, je me suis précipitée, enjambant Alek tombé lui aussi, son rôle d'Ombre rempli. Déjà, je sentais la puissance de la lame faiblir, il restait peu de temps pour faire ce que Nathan m'avait appris en tout dernier. Tombée à genoux, je le touchai de la lame, cherchant désespérément le bon ordre, le mot qui le ferait... Vivre. "Vis". Juste à temps. La dernière lueur de la lame l'a entouré, et il a bougé... Vivant !


"Mais le serviteur fut sauvé par l'Elue qui, avant que la lame de la Prophétie ne s'éteigne à jamais, ressucita le paladin déchu."


Vivant. Alek aussi, même s'il a fallu que je hurle pour que quelqu'un s'en occupe, comment son propre frère pouvait-il donc le laisser ainsi dans la neige après tout ce qu'il avait fait ? Sangue maledetto.
Vivants tous les deux, en bonne santé, et grâciés tous trois, Zed et ses deux complices, par la main du Baron Desdémonia.


C'est terminé.

L'Epée de la Prophétie me manque. Le Lien aussi... le Lien surtout. Je sais qu'à lui aussi.
Mais nous sommes ensemble, et c'est terminé.


Tout ira bien, maintenant.








*tout en bas du dernier feuillet*
Ce n'est pas terminé.

Nathan a entendu une Voix, lui annonçant que la Prophétie continue. N'aurons-nous donc jamais la paix ?
Grâce aux dieux, cette fois, il n'est que le Messager, celui qui annonce cet état de fait. Il ne sait rien de plus, et j'espère que cela restera ainsi. J'espère également que mon propre rôle est bel et bien terminé. Pouvoir nous marier sera déjà une aventure assez éprouvante. Que la prophétie passe par un autre chemin que le nôtre, cette fois.


Avoir son nom inscrit dans les étoiles n'est pas une sinécure...

Qu'elles nous oublient quelques mois, ce n'est pas trop leur demander, à elles qui sont éternelles ?

*un feuillet rajouté bien plus tard, l'encre diluée en plusieurs endroits par des goutte d'eau, tachant le papier. Pluie, ou larmes ?*

En rangeant mes affaires pour le départ vers Célestia, j'ai retrouvé ces feuillets oubliés dans la tourmente.

Adressés à Monseigneur, Haut Prêtre du Seigneur de l'Aube, l'homme le meilleur et le plus sage que j'aie jamais connu. Il ne les lira plus, à présent. Il est trop tard, trop tard aussi pour lui demander de nous faire l'honneur, à Nathan et moi-même, d'être l'officiant à notre mariage.


Ces gobelins qui mettent Port Embria la désunie à genoux, si facilement. Plus malins, sous les ordres de leur mystérieux Roi, que les humains de la cité, un comble.
Ils organisent des diversions, attirant tous les belliqueux du coin hors des murs par quelques escarmouches, massant la milice sur les murs. Et ils passent tranquillement dans leur dos, eux ou d'autres nuisibles bien humains ceux-là, pour commettre leurs exactions. L'explosion de la poudre entreposée le long de la caserne, détruisant à demi cette dernière et soufflant une grande part de l'effectif. L'empoisonnement des eaux de la cité, qui tua tant de monde, qui faillit mettre un terme à mon existence alors que je gisais dans la neige (crois-tu, Sangue maledetto, que je n'ai pas entendu ton glapissement rieur à ce moment ?). L'empoisonnement, qui nécessita une intervention conjointe de la druidesse lycanthrope Louve Alpha et du Frère Thüringen pour rendre à nouveau l'eau potable. Meurtres, pillages organisés par la pègre.

Et la goutte d'eau, ou plus exactement, la goutte de sang de trop. Une nouvelle escarmouche, une nouvelle diversion, une nouvelle fois tout le monde fonçant au combat. Plus tard, bien plus tard, alors que les portes de la cité s'étaient refermées derrière les combattants, les enfermant dehors alors que le danger était entré, lui, ces cris en provenance du temple, puis la capture et l'exécution d'un gobelin vêtu comme un assassin...

Ils l'ont tué. Ils ont tué Monseigneur. Les prêtres de la cité qui soignaient avec tant de dévouement les blessés et les empoisonnés, s'épuisant à la tâche, frappés au coeur même, Monseigneur ravalé au rang de simple cible tactique...

Depuis, mon coeur est gelé, malgré ma colère qui, elle, bouillonne. Nathan lui-même a failli perdre son sang-froid en l'apprenant.


Et toi, Sangue maledetto, pour une poignée de gemmes élémentaires, tu voudrais qu'on laisse "ton protégé" vivre et qu'on fasse semblant de croire qu'il tiendra le moindre accord ? La dernière fois qu'il a proposé cela, ç'a été pour tenter de faire porter par Eorl et le Frère Thüringen la maladie derrière nos murs.

Non, non.
Il est des sangs qui, en coulant, appellent à leur suite plus de sang encore. Le meurtre de Monseigneur ne restera pas impuni.

La seule question que ceux qui se préparent dans l'ombre et moi qui les aide de mon mieux malgré l'inertie et la frivolité criminelle ambiantes, c'est... leur as-tu révélé ce que tu as espionné ?

Peu importe, au fond.

Du sang pour du sang, le sien, ou le mien en essayant. Pour ce crime il n'est pas d'autre issue.

Vae victis.